1ère STi2D – Oral 7 – Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, lettre II – lecture linéaire (développement)

ORAL  – développement de la lecture linéaire

Objet d’étude : le roman et le récit du Moyen-âge au XXIème siècle

Parcours : raison et sentiments.

Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, 1841-1842,

lettre 2 (extrait), de Louise à Renée (25 novembre 1823)

Balzac-oral4-texte

 

1er « mouvement » : découverte du paradoxe de la solitude au sein de la famille

[…] Voilà notre vie de famille.

Présentatif « voilà » / phrase nominale. L’épistolière cherche à faire voir à son amie son quotidien, ses habitudes. (La description a commencé avant cet extrait et se poursuit ici).

Semblant d’unité autour d’un foyer avec l’expression « vie de famille » et le possessif « notre ». Évocation d’un fonctionnement interne et intime. Avec la suite immédiate (les deux bémols et la mise en relief d’un mode de vie finalement solitaire), cette première phrase sonne ironique.

Nous nous rencontrons à déjeuner et à dîner ; mais je suis souvent seule avec ma mère à ce repas.

Présent d’habitude, de répétition. Connecteur « mais » qui ouvre un premier bémol : Opposition des pronoms personnels « nous » (famille) / « je » (solitude de Louise) + adjectif attribut « seule ». Figure de la mère : un peu plus présente (« souvent ») que les autres membres de la famille.

Je devine que plus souvent encore je dînerai seule chez moi avec miss Griffith, comme faisait ma grand’mère. Ma mère dîne souvent en ville.

Le verbe « deviner » montre à la fois le tâtonnement de Louise dans son souci à comprendre les choses du monde dans lequel elle entre, et son intelligence d’observatrice, sa lucidité.

Deuxième bémol à l’idée d’une famille unie avec la répétition de l’adverbe « souvent », renforcé « plus … encore » : dans le fonctionnement de cette famille, le soir, c’est chacun « chez [s]oi ». Ainsi, le membre de la maison que Louise voit le « plus souvent », c‘est finalement miss Griffith, « demoiselle de compagnie » et « gouvernante » de Louise, anglaise, dévouée et discrète à la fois, qui ne fait pas partie de la famille.

Louise se compare à sa grand-mère (« comme »), dont elle est plus proche que de sa mère, bien que la première soit morte et la seconde vivante. On n’oublie pas que la jeune fille et son aïeule étaient complices, affectueuses, au point qu’elle hérite à sa mort non seulement d’une fortune, mais aussi de ses appartements privés qu’elle habite pleinement dès les premiers instants de son retour à Paris.

Tandis que sa mère est mondaine : elle sort régulièrement le soir, apparemment sans son mari puisque Louise n’évoque pas ici son père mais bien sa mère seule…

Je ne m’étonne plus du peu de souci de ma famille pour moi.

La négation du verbe « s’étonner » accentue l’idée de lucidité évoquée plus haut. Louise progresse dans son apprentissage de la vie qui l’attend, puisque l’adverbe de négation « ne plus » implique une évolution dans le temps. Elle apprend, elle comprend la solitude irréductible qui l’attend, malgré l’affection partagée au sein de sa famille. Ici elle semble amère en utilisant un euphémisme (« peu de souci »), comme si sa famille la méprisait, ce qui semble exagéré, sans doute parce qu’elle est, à ce stade de l’histoire, déçue et blessée. Louise est un personnage qui n’attache d’importance qu’à l’amour.

Ma chère, à Paris, il y a de l’héroïsme à aimer les gens qui sont auprès de nous, car nous ne sommes pas souvent avec nous-mêmes. Comme on oublie les absents dans cette ville !

Généralisation avec le présent de vérité générale et l’extension du propos à l’échelle de la capitale (« à Paris », « cette ville »). Il semblerait que cette solitude ressentie, y compris au sein de sa propre famille, soit quelque chose de « normal » dans le Paris de cette époque.

Louise semble ironique, voire sarcastique, en utilisant l’hyperbole de « l’héroïsme » qui semble à la fois exagérée et pessimiste. Il y a également du reproche dans le propos de la jeune femme, qui pointe l’indifférence, voire l’égoïsme des Parisiens (« on oublie les absents ») dans la phrase exclamative finale.

L’auteur, Balzac, derrière son personnage, semble s’amuser en donnant un portrait satirique de Parisiens qui n’attacheraient d’importance qu’à ce qui se passe « ici et maintenant », à ce qui est à la mode, à ce qui est « in », dans Paris ! au point d’ignorer sciemment tout ce qui ne s’y trouve pas, comme si rien n’existait en dehors de la capitale.

Et cependant je n’ai pas encore mis le pied dehors, je ne connais rien ; j’attends que je sois déniaisée, que ma mise et mon air soient en harmonie avec ce monde dont le mouvement m’étonne, quoique je n’en entende le bruit que de loin. Je ne suis encore sortie que dans le jardin.

Justement, Louise ne se trouve « pas encore » complètement dans « cette ville », puisqu’elle n’est « pas encore » prête à sortir affronter « ce monde ». Trois formulations différentes de la même idée : « je n’ai pas encore mis le pied dehors »/ « je n’en entende le bruit que de loin »/ « je ne suis encore sortie que dans le jardin ». Effet d’insistance sur le fait que Louise a encore tout à découvrir par elle-même de la mondanité parisienne ; elle se trouve entre deux mondes :

– la sphère intime de la famille, à son hôtel particulier (intérieur), et la sphère de la ville (extérieur), agitée, car pleine de « bruit » et de « mouvement » ;

– l’état d’enfant (ignorance, immaturité, impatience) et l’état de femme (lucidité, expérience, esprit) ;

– la province du couvent (Blois) et le Paris de la mondanité.

Le passage de l’un à l’autre est imminent, comme en témoigne l’image symbolique du jardin, qui apparaît ici comme un intérieur-extérieur, un lieu entre deux lieux.

Elle accentue encore cette impression avec la négation du verbe connaître (« je ne connais rien ») ainsi que l’adjectif « déniaisée », qui apparaît comme un horizon à atteindre puisque attendu (« j’attends »). Louise est en plein apprentissage de la vie.

Paradoxe dans la psychologie du personnage : elle semble un peu amère quant à l’égoïsme des Parisiens, mais impatiente (« j’attends ») de les découvrir par elle-même, lorsqu’elle sera physiquement (« ma mise et mon air ») « en harmonie avec ce monde »…

+ ambiguïté du verbe « étonner », qui peut vouloir dire tout aussi bien « ébranler », « perturber », que « surprendre », « émerveiller », et même, ici dans ce contexte, « fasciner », « attirer ». Fascination/ répulsion ? + manque de confiance en soi ? La confiance lui viendra plus tard (lettre suivante, III), lorsqu’elle sera préparée physiquement aux mondanités, avec une tenue de jeune femme à la mode, qui mettra en valeur sa beauté.

2ème « mouvement » : projection dans les sorties culturelles mondaines parisiennes

Les Italiens commencent à chanter dans quelques jours.

Les « Italiens » sont les opéras dont les représentations avaient lieu dans les théâtres parisiens. L’absence d’explication à destination de son amie provinciale montre que Louise s’est d’ores et déjà familiarisée avec cette expression mondaine. Le présent à valeur de futur proche, et l’indication temporelle « dans quelques jours » révèlent l’imminence de l’événement et l’impatience qu’éprouve Louise à l’idée de cette découverte pour elle.

Ma mère y a une loge.

Confirmation que la mère est une mondaine. Admiration de la fille, qui prendra modèle sur la mondanité de la duchesse. Conscience de son privilège, car elle saura profiter de cette loge. Fierté de l’annoncer à son amie Renée ?

Je suis comme folle du désir d’entendre la musique italienne et de voir un opéra français.

Confirmation de l’impatience de Louise à découvrir cet univers à la fois artistique, esthétique et social. Le personnage est sensible, passionné ; l’accent est mis sur les émotions, les perceptions: « folle du désir » + verbes de perception « entendre » et « voir ». Louise éprouve la pulsion de découvrir le monde ses sens en éveil, par l’expérience personnelle, l’observation subjective, les sentiments, les sensations.

+ ouverture culturelle avec l’évocation d’une alliance entre les arts italiens et français au sein d’un même phénomène événementiel.

Je commence à rompre les habitudes du couvent pour prendre celles de la vie du monde. Je t’écris le soir jusqu’au moment où je me couche, qui maintenant est reculé jusqu’à dix heures, l’heure à laquelle ma mère sort quand elle ne va pas à quelque théâtre. Il y a douze théâtres à Paris.

Parallélisme : Louise entre deux mondes (voir plus haut). Changement subtil, progressif (« je commence à rompre »), de ses « habitudes ». Apprentissage, formation. Répétition du verbe « commencer » : la vie mondaine de Louise commence au moment où les Italiens reprennent leurs activités, comme si cette reprise était l’occasion parfaite pour s’initier à la vie mondaine.

Le soir, où, rappelons-le, chaque membre de la famille de Louise vaque à ses propres occupations, apparaît ici comme un moment crucial. L’heure du coucher est « reculé[e] » pour la fille, et encore plus tardive pour la mère. On peut subodorer que Louise, en grandissant, se couchera de plus en plus tard, à la conquête de ces instants primordiaux, comme à la conquête d’elle-même et de sa liberté.

Émerveillement ostensible devant le nombre de théâtres qu’il y a à Paris (« douze »). Louise semble contente de ce chiffre prometteur, voire fière de donner cette information (en apparence neutre) à son amie Renée qui ignore tout de la vie parisienne.

3ème « mouvement » : continuation et progression dans la lecture de littérature romantique

Je suis d’une ignorance crasse, et je lis beaucoup, mais je lis indistinctement. Un livre me conduit à un autre. Je trouve les titres de plusieurs ouvrages sur la couverture de celui que j’ai ; mais personne ne peut me guider, en sorte que j’en rencontre de fort ennuyeux.

Auto-portrait dévalorisant, avec l’attribut péjoratif « ignorance crasse », qui suit un verbe « être » sans appel, comme si Louise se définissait d’abord par son manque de connaissances. Sa volonté d’y remédier s’avère maladroite, puisqu’elle ne trouve, dans un premier temps, aucun repère dans ses cheminements de lectrice : elle lit « beaucoup » et « indistinctement », le rassemblement de ces deux adverbes évoquant une errance sans rigueur, autant qu’une soif insatiable de sortir de cet état d’ignorance. Louise, autodidacte malgré elle, dans sa solitude, n’a guère d’autres choix que de procéder par sauts, en passant d’un livre « à un autre » en fonction des titres qui lui sont suggérés, mais dont elle ne peut pas saisir l’importance ni les enjeux. Elle ne reçoit de conseils de « personne », ce qui l’empêche de trouver un ordre des priorités dans ses lectures, et lui fait perdre un peu de temps, jusqu’à l’ennui !

Ce que j’ai lu de la littérature moderne roule sur l’amour, le sujet qui nous occupait tant, puisque toute notre destinée est faite par l’homme et pour l’homme ;

La « littérature moderne » (rappel : la lettre date de 1823) qui parle de l’amour fait clairement référence au Romantisme (réviser les caractéristiques de ce mouvement culturel). Louise représentera la passion amoureuse, typique du Romantisme de son époque.

La première occurrence de la 1re personne du pluriel « nous » renvoie à Louise et Renée, les deux jeunes femmes qui n’ont pas cessé de s’intéresser aux questions de l’amour tout au long de leur séjour au couvent. Elles ont essentiellement échangé leurs idées sur l’amour tout au long de leur jeunesse ; il est donc évident que ce thème sera encore celui de leur correspondance dans ce roman épistolaire qui commence à peine ici.

Louise justifie (connecteur logique de l’explication, de la cause : « puisque ») cet intérêt pour l’amour d’une façon qui peut nous surprendre, nous lecteurs du XXIème siècle : en effet, elle utilise non seulement le présent de vérité générale, mais aussi le possessif « notre » qui renvoie cette fois aux femmes, à toutes les femmes, ou du moins aux femmes qui ne restent pas au couvent, et énonce ce qui sonne alors comme une maxime inébranlable, d’un sexisme remarquable ! « toute notre destinée est faite par l’homme et pour l’homme ».

Selon cette maxime, la femme est entièrement soumise à l’homme, dépendante de l’homme ; l’homme est défini ici comme étant l’origine (« par l’homme ») et le sens (« pour l’homme ») de la vie de la femme, sa cause (« par l’homme ») et sa fin (« pour l’homme »). Louise se donnera pleinement dans une passion amoureuse dévastatrice (effet d’annonce).

mais combien ces auteurs sont au-dessous de deux petites filles nommées la biche blanche et la mignonne, Renée et Louise ! Ah ! chère ange, quels pauvres événements, quelle bizarrerie, et combien l’expression de ce sentiment est mesquine !

« au-dessous » + « pauvres » + « bizarrerie » + « mesquine » : termes péjoratifs qui qualifient les livres qu’elle a lus, qui ne sont pas à la hauteur des discussions sans fin que les deux jeunes filles entretenaient au couvent. La déception et le mépris qu’elle éprouve à l’égard des considérations sur l’amour qu’elle y a trouvées sont accentués par l’exclamation (trois points d’exclamation + interjection « Ah ! ») et les adverbes exclamatifs « combien » (deux fois) et « quelle », « quels ».

Termes affectueux à destination de Renée : on avait déjà « ma chère » plus haut, maintenant « chère ange ». Les surnoms « la biche blanche et la mignonne » mettent en relief leur innocence, leur insouciance, leur pureté. Louise semble déjà jeter sur elle-même et Renée un regard plein de bienveillance et d’attendrissement, rappelant que ce n’étaient que deux enfants (« petites filles »), ce qui marque aussi un pas vers l’acquisition de la maturité, l’entrée dans l’âge adulte.

4ème « mouvement » : l’insouciance de la jeunesse

Deux livres cependant m’ont étrangement plu, l’un est Corinne et l’autre Adolphe.

Mais Louise reste une femme jeune, très jeune.

Les « deux livres » qu’elle évoque ici sont deux romans romantiques, le premier de Germaine de Staël, le second de Benjamin Constant, deux illustres représentants du courant romantique. Ce goût personnel pour ces deux ouvrages révèle déjà le caractère passionné, lyrique, de Louise, qui va se manifester tout au long de la suite du roman de Balzac.

À propos de ceci, j’ai demandé à mon père si je pourrais voir madame de Staël. Ma mère, mon père et Alphonse se sont mis à rire. Alphonse a dit : — « D’où vient-elle donc ? » Mon père a répondu : — « Nous sommes bien niais, elle vient des Carmélites. » — « Ma fille, madame de Staël est morte, » m’a dit la duchesse avec douceur.

Anecdote (introduite par une locution prépositionnelle « à propos de » qui laisse entendre que Louise procède par association d’idées en laissant aller naturellement sa pensée) qui renvoie encore à l’inexpérience et l’ignorance de Louise, mais cette fois du point de vue des membres de sa famille. Suite à une question innocente de Louise qui révèle un manque de connaissance, les deux hommes ne l’épargnent pas et se moquent, tandis que la mère reste bienveillante à son égard.

Les « Carmélites » sont les sœurs (religieuses) qui régissent le couvent où Louise et Renée ont reçu leur éducation à Blois. Le père semble donc conscient du décalage énorme qui existe entre les deux mondes (celui d’où revient sa fille et le sien), mais il choisit de se moquer, tandis que la mère, désignée ici par une périphrase (« la duchesse ») qui fait ressortir sa noblesse (noblesse de son âme également?) fait preuve de compréhension et d’affection en donnant une réponse sensée à sa fille et en lui fournissant simplement l’information requise (la mort de Mme de Staël).

« Comment une femme peut-elle être trompée ? » ai-je dit à miss Griffith en terminant Adolphe. — « Mais quand elle aime, » m’a dit miss Griffith.

Deuxième question de Louise, qui porte cette fois sur le fonctionnement de la psychologie humaine, et qui est adressée cette fois à sa gouvernante. Cette succession de questions montre chez Louise son avidité de savoir et de comprendre. On voit aussi qu’elle n’hésite pas à les adresser à son entourage, n’ayant aucun mentor, aucun précepteur pour l’orienter dans ses apprentissages (cf. plus haut). En cela, son innocence et sa modestie la valorisent.

La réponse de miss Griffith a cela d’effrayant que l’amour est ce qui semble expliquer l’illusion, d’erreur, voire le mensonge, subis potentiellement par qui s’aventure dans ce sentiment. Là aussi, on a un effet d’annonce : Louise aimera, Louise souffrira.

Dis donc, Renée, est-ce qu’un homme pourra nous tromper ?

Cette question finale, adressée cette fois à son amie d’enfance, révèle un doute, une crainte. On remarque une progression dans ces trois questions : la première, au présent, posée aux parents, porte sur une connaissance intellectuelle, une information objective. La deuxième est déjà plus intime et concerne les sentiments et la psychologie humains ; elle est posée à une femme qui, paradoxalement, est plus proche de Louise. La dernière interrogation exprime, au futur, un doute abyssal, une question absolue qui révèle des attentes inquiètes sur un avenir qui devient tout à coup incertain. Elle s’adresse à l’être le plus intimement proche d’elle : Renée.

Louise restera dans ce doute qui la consumera (effet d’annonce).

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