1ère – Scudéry – Artamène ou Le Grand Cyrus – Portrait de Cléomire

Séance n°4 – Scudéry, Artamène ou Le Grand Cyrus, 1649-53 – Le portrait de Cléomire.

Explication de texte n°1 – Pour l’ORAL du BAC !

Madeleine de Scudéry est une écrivaine précieuse, c-à-d une femme de lettres (= une intellectuelle) de la période des années 1650-70. Née en 1607 au Havre, elle perd très jeune ses parents et reçoit de son oncle ecclésiastique une éducation complète et approfondie, fait rare pour les jeunes femmes à cette époque.

La Préciosité est un mouvement littéraire qui s’inscrit dans la noblesse parisienne, dont certains membres organisaient des « Salons », que Mlle de Scudéry fréquentait, notamment celui de la marquise de Rambouillet.

Artamène ou Le Grand Cyrus est un roman héroïque de dix volumes (= roman-fleuve), qui relève à la fois de l’Histoire et de la légende, avec lesquelles l’auteur prend énormément de libertés. Derrière de nombreux personnages du roman se cachent des personnalités réelles, contemporaines et proches de Scudéry. Ainsi, le portrait de Cléomire, ici, représente en réalité Mme de Rambouillet. Il se situe dans le livre I de la septième partie.

Mouvement du texte (= découpage du texte) :

  1. Premier paragraphe (lignes 1 à 11) : portrait physique

  2. Second paragraphe (lignes 12 à 22) : portrait moral/psychologique/ intellectuel.

Cette distinction corps/ esprit est tout à fait conforme à la pensée de R.Descartes, qui a radicalisé ce dualisme.

  1. L’éloge physique de Mme de Rambouillet à travers le portrait de Cléomire.

        1. Quelques éléments généraux de description physique.

Dès les deux premières lignes, la narratrice utilise un vocabulaire lié au sens de la vue ex : l’adjectif « grande », les noms « traits », « visage », « teint », renvoient tous à des qualités physiques visuelles. A chaque fois, ces mots sont accompagnés d’un vocabulaire mélioratif  ex : l’adverbe « bien », l’adjectif « admirables » et le nom « délicatesse » mettent en valeur Cléomire. Cette mise en valeur semble exagérée, poussée à l’extrême, notamment avec la négation « ne se peut exprimer » : la « délicatesse de son teint » semble ineffable, inexprimable tant elle est exceptionnelle, presque mystérieuse puisque le langage échoue à la décrire.

La répétition des mots de la même famille (polyptote) « admirables » (l.1) et « admiration » (l.3), qui peut sembler maladroite car redondante, exprime peut-être justement l’incapacité de la narratrice à être plus précise, tant la perfection de cette femme est impossible à expliciter. L’expression typiquement précieuse « je ne sais quel » (l.3) abonde dans ce sens.

Rq : nous n’avons aucun détail qui permette de se figurer précisément le physique de cette femme (pas de couleur de peau, d’yeux, pas de détail sur la forme de son visage, etc.). Nous n’avons qu’une accumulation de termes valorisants, qui révèle que le but de Mlle de Scudéry n’est pas tant de nous « faire voir » Mme de Rambouillet (alias Cléomire) que d’éveiller notre admiration. (ex : sept termes mélioratifs rien que sur les 3 premières lignes !)

l.4 à 6 : suite de l’éloge de la « physionomie », toujours exagéré, avec notamment le superlatif absolu : « la plus belle et la noble que je ne vis jamais ». Là encore, le terme « physionomie » est si général qu’on ne peut se faire une idée précise de détail concernant le physique de cette femme. + « noble* » = d’une élégance et d’une distinction naturelles.

        1. Une beauté intérieure qui « se voit ».

On a déjà, lignes 5-6 des éléments de portrait intellectuel/ psychologique, puisque Scudéry évoque la beauté intérieure de Cléomire en parlant de « son âme » dont la qualité première est la « tranquillité », qui va revenir à la ligne 11 : « toujours également tranquille », qui insiste sur la « constance* » (l.14) de caractère du personnage. Cette égalité ou constance morale est très recherchée par les gens de lettres (= les intellectuels) du XVIIème s. L.6-7, on voit que Cléomire répond à l’idéal classique de l’« honnête* homme », notamment sur un point : elle est parfaitement raisonnable car elle maîtrise « toutes ses passions ». Ces qualités morales sont perceptibles, particulièrement par la vue, sur laquelle Scudéry insiste avec la répétition du verbe voir : « on voit même en la voyant seulement » (polyptote). Tout un champ lexical de la vue peut être relevé dans le premier paragraphe.

l.7 : ses passions « ne font point de guerre intestine dans son cœur » « guerre intestine » = conflit qui naît à l’intérieur de soi. Aucune émotion excessive ne la submerge car elle les maîtrise toutes.

« l’incarnat » = le rouge qui monte aux joues. + « pudeur » = qualité morale, vertu valorisée au XVIIème s.

« dérèglement de l’âme » = dysfonctionnement psychologique (coup de folie, émotion excessive) –> passions.

Synthèse du I. sur le premier paragraphe (éloge physique de Cléomire) : Scudéry réalise ici un éloge excessif des qualités visibles de Cléomire, alias Mme de Rambouillet. Ces qualités se résument non seulement par une beauté exceptionnelle, mais aussi par sa vertu, perceptible sur l’expression de son visage. L’apparence de cette femme respire ses qualités morales, ce qui en fait une femme parfaite à tous points de vue, déjà, conforme à l’idéal de l’honnêteté du XVIIème siècle, et en particulier de la Préciosité. ( annonce le II./ transition)

  1. Éloge intellectuel/ psychologique, qui en fait un idéal culturel.

        1. Exposé de deux qualités intellectuelles essentielles : « esprit » (→ intelligence) et « âme » (→ morale).

Cléomire fait preuve aussi de perfection dans les domaines intellectuels et culturels. Scudéry insiste encore sur les qualités de son personnage.

Le thème de ce paragraphe nous est donné dès le début avec les mots « l’esprit et l’âme » (cf. lexique : « esprit »).

L’adjectif « merveilleuse » place Cléomire du côté des êtres incroyables, étonnants, voire magiques. Surnaturelle hyperbole.

L’éloge produit par Scudéry est toujours excessif, puisque la « beauté » de Rambouillet était déjà exagérée dans le §1, et que son « esprit » est censé être encore au-dessus de cette beauté (« surpassent »).

Ses facultés intellectuelles sont illimitées : son esprit*, c’est-à-dire son intelligence, « n’a pas de bornes dans son étendue » = n’a pas de limite hyperbole.

Son « âme » (= le siège des facultés morales) est mise sur un piédestal, au-dessus de celles des autres humains (elle « n’a d’égal »). Elle fait preuve de « générosité* » c-à-d au XVIIème s. d’une qualité particulièrement recherchée comme étant distinguée, « noble* », « grande ». La « constance* » ou égalité d’âme est aussi une qualité mise en valeur par les Classiques et les Précieux. Le nom « pureté » évoque un caractère supérieur, voire surnaturel, comme celui d’un ange ou d’une sainte.

2. Développement/ détails de ces qualités.

l.14-17 : développement de l’éloge de l’« esprit » de Cléomire (et ce, jusqu’à la fin de l’extrait). Scudéry explique non seulement en quoi Cléomire fait preuve de qualités intellectuelles exceptionnelles, mais aussi elle explique l’idéal de l’« honnête homme », cher aux Classiques et aux Précieux. non seulement Cléomire est naturellement douée d’une intelligence exceptionnelle, autrement dit d’une « lumière que la nature [lui a donnée] » (l’image de la lumière ici fait penser à celle qui sera reprise au XVIIIème siècle : il s’agit au sens figuré des lumières de l’esprit + Le vb « donner » fait penser au « don » au sens de talent naturel), mais surtout elle a su entretenir cette intelligence (« elle l’a cultivé soigneusement », comme on nourrit/ entretient une plante l’adverbe « soigneusement » insiste sur la qualité et la bonne volonté de Cléomire) en développant une culture générale hors normes, sans limites, semble-t-il la narratrice avoue elle-même ne pas connaître de limites à la culture de Cléomire : « je pense pouvoir dire qu’il n’est point de belles connaissances qu’elle n’ait acquises ».

La « beauté » des connaissances évoquée est typique aussi de l’esprit du XVIIème s. On sent un amour pour le savoir, qui place les connaissances comme un but en soi, une finalité à atteindre pour elle-même, pr la beauté du geste, en qq sorte.

On peut enfin remarquer (vb donner + participe passé « acquises ») que C. allie deux « forces » : les qualités innées (données par la nature) et les qualités « acquises », qu’elle a obtenues grâce à son mérite, sa persévérance, sa curiosité.

Remarque : Bcp de propositions négatives, qui produisent un effet d’atténuation, typiquement précieux : litote, euphémisme, qui apportent délicatesse et modestie au propos.

l.17 : Scudéry continue de préciser ce qu’est la perfection de l’esprit de Mme de Rambouillet avec l’exemple des « diverses langues » qu’elle parle érudition.

Cependant, l’adverbe « presque » concernant l’étendue des choses « qui mérite[nt] d’être su[es] » vient atténuer cette perfection, rendant à Cléomire sa pleine humanité : cette femme en sait déjà bcp, cependant.

Qualité morale et intellectuelle à la fois, mise en avant : la modestie (l.19).

« par le simple sens commun » = par une intelligence basique, minimale, normale. (seulement grâce au bon sens)

« par le seul usage du monde » = seulement par l’expérience.

Le voc. qui renvoie aux apparences (l. 18-19) révèle que l’attitude de C. est pleine de discrétion : elle ne se vante pas.

l.21-22 : mise en avant de deux autres qualités morales et intellectuelles : la curiosité et l’érudition. Cléomire s’y connaît dans tous les domaines, des « sciences » aux « arts ». En plus des pluriels, ces deux noms (« sciences » et « arts ») sont complétés par des superlatifs qui mettent en relief la vaste étendue des connaissances et centres d’intérêt de Cléomire.

+ répétition des mots de la même famille : verbe « connaître » et nom « connaissance » (polyptote).

Le texte s’achève par l’adverbe « parfaitement » qui résume cet éloge.

Idées à retenir pour la récapitulation (dans la conclusion) :

– éloge suprême de Cléomire/ Mme de Rambouillet

– idéal de l’honnêteté

– maîtrise des passions par la raison

– style précieux

– ces quatre points sont typiques du XVIIème siècle.

OUVERTURES POSSIBLES :

– éloge de Mme de Chartres et de Mlle de Chartres dans La princesse de Clèves, de Mme de Lafayette ;

Descartes/ Pascal (textes complémentaires lus en classe, sur les passions et la raison).

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