L’étonnement philosophique, de Jeanne Hersch (1981)
Socrate était d’origine modeste. (…) Il n’était pas grand orateur, selon le goût antique. Seul de toute la tradition philosophique européenne, il n’a pas écrit une ligne. Et pourtant, c’est ce philosophe qui a exercé la plus forte influence au cours des siècles. /////////////////////
Pourquoi n’a-t-il rien écrit ? On peut supposer que ce fut parce qu’il ne croyait pas à une vérité séparable de celui qui l’énonce et de l’instant où elle est énoncée.
Pour lui, les « vérités » ne sont pas comme des choses, elles sont philosophiques. ///////////////////// Qu’est-ce donc qu’une vérité philosophique ?
Une vérité philosophique n’est pas simplement un énoncé se rapportant de façon adéquate à un état de fait objectif, indépendamment de celui qui parle ou écrit. C’est un énoncé par lequel un être humain responsable, libre, assume une vérité, la fait sienne, la fait « vérité » par la manière dont il s’engage envers elle.
///////////////////// C’est dire que pour Socrate, une vérité dite théorique est toujours en même temps une vérité pratique, qui dépend de celui qui la saisit – de l’action qu’elle exerce sur lui, de ce qu’elle fait de lui. On l’appellerait aujourd’hui vérité existentielle.
Thèmes : la vérité – l’existence humaine – la philosophie/ le philosophe
Thèse : La vérité philosophique a ceci de particulier, par rapport aux autres types de vérités comprises pour elles-mêmes (vérités de faits, vérités scientifiques, etc.), d’engager pleinement l’homme qui la détient. Elle est inséparable de l’homme. Précision : Ce n’est pas un caractère subjectif qui la rendrait inséparable de l’homme – car elle n’est pas subjective pour autant – mais plutôt la responsabilité de l’homme qui s’engage dans une vérité en la saisissant. Aussi, dans le domaine philosophique, il n’existe pas de vérité « hors sol » ; il s’agit de toujours concevoir et assumer son aspect pratique, c’est-à-dire ses effets sur soi-même et ses conséquences pour l’action dans l’existence. La vérité philosophique est une vérité incarnée. (D’où le fait que Socrate n’ait rien écrit : parce qu’il n’y aurait pas de sens à faire durer un discours en dehors de la personne qui l’incarne).
Problème : La vérité philosophique se distingue-t-elle des autres domaines de recherche de vérité ? Peut-elle avoir affaire avec la vie pratique ou bien n’est-elle qu’un ensemble de considérations hors sol, abstraites, purement intellectuelles ?
Enjeux : L’enjeu principal est de désamorcer des préjugés qu’on pourrait se faire sur la philosophie. Ainsi, la vérité philosophique n’est ni totalement objective, ni subjective (enjeux épistémiques), elle ne consiste pas à philosopher seul dans sa tour d’ivoire, en dehors du monde réel et sensible (enjeux existentiels) ; enfin, elle engage la responsabilité du philosophe (enjeux moraux). On pourrait ajouter aussi qu’elle n’est pas dogmatique, car si la figure qui la représente ici, Socrate, n’a rien écrit, c’est pour éviter de désincarner son discours et de le rendre indiscutable pour l’éternité.