T HLP – La recherche de soi (introduction/problématisation)

Semestre 1 – La recherche de soi (15-16 semaines)

Période de référence : Du romantisme au XXe siècle

  1. Introduction – problématisation

Exercice A :

  1. Le plus spontanément possible, répondre à la question : « moi : qui suis-je ? » sous la forme de votre choix (paragraphe rédigé, avec ou sans plan, carte mentale, tableau, etc.) – (non ramassé – confidentiel). Puis, échanges à l’oral :
  2. Répondre à cette question a-t-il été facile ? Pourquoi ?
  3. Essayer de classer les différentes pistes en catégories claires et distinctes (état civil, caractère, tempérament, histoire familiale, milieu social…) – Que révèlent ces distinctions ?
  4. Repérer d’éventuels contradictions ou paradoxes : pour vous, est-ce un problème qu’il y en ait dans votre réponse à cette question ? Pour quelles raisons ?

Exercice B :

  1. Lire le texte d’August Strindberg (Le fils de la servante : histoire d’une âme). (à contextualiser au préalable par le professeur)

Le fils de la servante est une œuvre autobiographique de l’écrivain suédois August Strindberg, né en 1849 et mort en 1912. Le récit correspond aux dix-huit premières années de Jean (Strindberg fait le choix d’une narration à la 3ème personne, peut-être pour acquérir une distanciation, une prise de recul, une « objectivation » ?). Le passage que nous lisons se trouve dans les dernières pages du livre, et correspond à une sorte de bilan auquel s’adonne le personnage qui s’apprête à entrer dans sa vie d’adulte.

  1. Repérer les expressions qui montrent que l’identité personnelle est difficile à saisir dans son unité. Expliquez-les.
  2. Que signifie « avoir un caractère », d’après ce texte ? Finalement, diriez-vous que Jean a « un caractère » ?
  3. Diriez-vous que Jean « s’est trouvé » ? Expliquer cette expression.
  4. Cherchez dans votre culture générale d’autres exemples de personnages « composites ». Pourquoi, à votre avis, la littérature, le cinéma, etc., regorgent-ils de personnages « composites » ?

August Strindberg (1849-1912), 1886, Le fils de la servante : Histoire d’une âme :

« Notre jeune homme était un composite de romantisme, de piétisme, de réalisme et de naturalisme, c’est pourquoi il ne fut jamais rien d’autre qu’un manteau d’arlequin.

Grâce à la vie, à l’école et au savoir, le moi de notre jeune homme était devenu un résumé assez riche et, en se comparant au moi plus simple d’autres, il se reconnaissait supérieur. Mais alors Jésus était venu qui voulait tuer son moi. Cela ne marcha pas tout seul, et la lutte devint acharnée, féroce. Il vit aussi qu’aucun autre ne reniait son moi ; pourquoi ? pourquoi au nom de Jésus renierait-il le sien ?

Il cherchait, ne trouvait rien et ne pouvait s’arrêter à rien. Sa nature brutale, qui rejetait tous les colliers imposés, ne pliait pas, et son cerveau né révolté ne pouvait devenir automatique. Il était un miroir réflecteur qui renvoyait tous les rayons qui le frappaient. Un résumé de toutes les expériences, de toutes les impressions variées, et plein de contrastes.

Ma nouvelle conscience me dit que je fais bien, et mon ancienne me dit que je fais mal. Je ne pourrais plus jamais avoir de paix. (…) Son nouveau moi s’élevait contre l’ancien et ils vécurent toute sa vie durant en désaccord comme des époux malheureux sans pouvoir se séparer.

(…) Il croyait en effet avoir un caractère bien arrêté. La société honore du nom de caractères ceux qui ont cherché et trouvé leur situation, qui ont pris un rôle, qui sont parvenus à trouver certaines règles de conduite et finissent par s’y conformer automatiquement dans leurs actions. Le caractère ainsi défini est un mécanisme par trop simple ; l’homme de caractère n’a qu’un point de vue unique pour des situations de la vie d’une si extrême complexité. Il s’est décidé à avoir toute sa vie une seule et même façon de voir quant à un fait déterminé ; et pour ne pas se rendre coupable de manque de caractère, il ne change jamais d’opinion, quelque niaise, quelque absurde qu’elle soit. Un caractère doit donc être un homme assez ordinaire et un peu sot. Homme de caractère et automate semblent à peu près synonymes. Les fameux caractères de Dickens sont de réelles marionnettes et les caractères sur la scène doivent être des automates. Un caractère saura en plus ce qu’il veut. Que sait-on de ce qu’on veut ? On veut ou l’on ne veut pas, c’est tout. Cherche-t-on à réfléchir sur ce que l’on veut, le plus souvent il n’y a plus de volonté. Dans la société et dans la vie, on devrait toujours penser aux conséquences qu’auront nos actions pour nous et pour les autres, et pour cela la réflexion serait de mise. Celui qui agit instantanément est un insensé et un égoïste, un naïf, un inconscient ; ce sont ces gens-là qui font leur chemin dans la vie, car ils n’ont pas égard aux inconvénients que leurs actions peuvent avoir pour d’autres, ils ne voient que les avantages qu’ils en peuvent tirer.

Or, quand il se mit à juger lui-même, il se mit aussi à rassembler les jugements que les autres avaient portés sur lui. Et il s’étonnait de les voir si différents. Son père lui supposait de la dureté, sa belle-mère le croyait méchant, ses frères le prenaient pour un original ; les servantes aussi le jugeaient chacune à sa manière ; la dernière l’aimait, elle trouvait que ses parents le traitaient mal et qu’il était gentil ; son amie avait commencé par le croire sentimental, son ami l’ingénieur avait tout d’abord vu en lui un enfant aimable, et son ami Fritz, un homme sombre, avec des excès de gaieté ; ses tantes lui attribuaient un bon cœur ; pour sa grand-mère il avait du caractère ; son amie à Stallmästergord l’idolâtrait naturellement et ses maîtres à l’école ne savaient pas au juste ce qu’ils devaient penser de lui. Vis-à-vis des farouches, il était farouche, vis-à-vis des aimables, il était aimable. Et les camarades ? Ils ne le dirent jamais ; les flatteries n’étaient pas de mise, mais les injures et les coups au besoin.

Jean se demandait maintenant s’il était d’un caractère aussi varié ou si les jugements seuls offraient une telle variété. Était-il dissimulé, se montrait-il autrement aux uns qu’aux autres ? (…)

(…) Les hommes étaient ainsi faits. C’est un instinct d’appropriation reposant sur le calcul et qui passe à l’inconscience ou au mouvement réflexe. Un véritable agneau vis-à-vis de ses amis, un lion vis-à-vis de ses ennemis.

Mais quand était-on sincère ? Et quand était-on faux ? Où était le moi ? Que pouvait être le caractère ? Il ne se trouvait ni ici, ni là, il était à la fois d’un côté et de l’autre. Le moi n’est pas quelque chose d’absolu, c’est une diversité de reflets, une complexité d’instincts, de désirs dont quelques uns sont étouffés, d’autres déchaînés.

La complexité chez Jean était, par suite de nombreux croisements dans le sang, d’éléments opposés dans la vie de famille, d’une grande expérience tirée des livres et d’événements variés dans son existence, un matériel très riche mais chaotique ! Il cherchait encore son rôle, parce qu’il n’avait pas encore trouvé sa place, et c’est pourquoi il continuait d’être sans caractère.

Il n’avait pas encore pu décider quels instincts devaient être réprimés, et quelle partie de son moi serait nécessairement sacrifiée à la société dans laquelle il se disposait à entrer.

S’il avait pu se voir tel qu’il était, il aurait trouvé que la plupart des paroles qu’il prononçait étaient empruntées aux livres ou aux camarades, que ses gestes venaient de ses maîtres et de ses amis, ses airs de sa parenté, ses caprices de sa mère et de sa nourrice, ses inclinations de son père, peut-être de son grand-père paternel. Son visage ne présentait aucun des traits de sa mère ni de son père. Comme il n’avait pas vu son grand-père maternel ni sa grand-mère paternelle, il ne pouvait pas se prononcer sur sa ressemblance avec eux. Qu’avait-il donc de personnel, qu’y avait-il en lui-même ? Il y avait deux traits essentiels de son âme complexe qui furent décisifs pour sa vie et son destin.

Le doute ! Il n’était pas absolument dénué de critique à l’égard des pensées ; il en faisait l’analyse et la synthèse. Aussi ne pouvait-il pas devenir un automate, ni être enregistré dans la société organisée.

Sensible à l’oppression ! C’est pourquoi il cherchait d’une part à l’atténuer en s’élevant au niveau des plus élevés, d’autre part à critiquer la classe supérieure et à montrer qu’elle n’était pas tellement supérieure et par suite pas tellement enviable.

Et c’est ainsi qu’il s’élança dans la vie ! Pour se développer et malgré tout cela rester toujours tel qu’il était ».

Le titre de cette partie du programme, « La recherche de soi », indique une quête existentielle qui consiste à conquérir ? découvrir ? connaître ? acquérir ? construire ? inventer ? un « soi », un « moi », à savoir une personnalité propre, sa propre personne, son identité personnelle, ce quelque chose qui subsiste, qui existe, de la naissance à la mort, qui semble relever tout à la fois de l’évidence et du mystère. La recherche de soi semble comporter des enjeux fondamentaux, comme : la connaissance de soi-même, la connaissance du monde (l’injonction antique « Connais-toi toi-même » est posée comme condition de toute connaissance), la maîtrise de soi, le bonheur, l’accomplissement. Il s’agit de s’interroger sur le rapport de l’être humain à lui-même. (anticiper sur le second objet d’étude, où l’homme est mis en perspective non plus par rapport à lui-même, mais par rapport à l’humanité entière).

Comment se forme le « moi » ? Lorsqu’on essaie de répondre à la question « qui suis-je ? », on observe deux choses qui vont nous intéresser : d’une part, il y a dans les réponses un très grand nombre d’éléments narratifs qui impliquent d’autres personnes que soi-même. C’est-à-dire que quand on cherche à se définir soi-même, c’est quasiment toujours de l’ordre de l’accidentel, du contingent, dépendant de circonstances extérieures (notre histoire, nos parents, l’époque et le lieu de notre milieu de vie, le système scolaire, les rencontres qu’on a faites, etc.). D’autre part, il y a dans les réponses des contradictions, qui révèlent des conflits internes, passés ou présents, d’importants changements, voire bouleversements et renversements. Quand on se cherche soi-même, on cherche à saisir, à fixer, quelque chose qui résiste à cette quête, car ce quelque chose est mouvant, complexe, et évolue sans cesse au cours du temps. On cherche une unité là où il y a éclatement, diversité, multiplicité. Comment comprendre ce « soi », un et unique, alors que cette même figure relève d’une composition infiniment complexe ?

On peut aller jusqu’à se demander ce qu’il y a derrière cette composition infiniment complexe. Y a-t-il vraiment une entité pleine et unie ? De quelle nature le soi relève-t-il ? Est-ce essentiellement matériel, corporel ? est-ce essentiellement immatériel, spirituel ? Comment appréhender sa substance propre ? Le « moi » est-il une illusion ? Ou au contraire, est-ce la seule certitude à laquelle se rapporter tout au long de son existence ?

La recherche de soi semble être le but de tout un chacun (« Connais-toi toi-même », comme le dit l’adage dès l’Antiquité). Elle pourrait même résumer le sens de la vie ! En quoi consiste l’existence ? A se chercher soi-même ? Si l’identité personnelle se construit par et dans les événements de la vie qu’on éprouve, qui font agir et réagir, et qu’on se raconte, alors vivre, c’est, de fait, se construire, soi, sans cesse.

Pour répondre à la question du « moi », on se heurte à des problèmes qui peuvent être rassemblés en trois sous-chapitres :

  1. Éducation, transmission et émancipation : dans ce qui me définit, il y a tant de choses qui viennent d’autrui que c’est à se demander s’il subsiste quelque chose de si unique que cela, qui serait le « moi ». Je nais dans un contexte spatio-temporel, un milieu familial, un milieu social, un milieu culturel, qui me construit d’abord à travers l’éducation que me donnent mes parents, tuteurs, professeurs, « mentors », auteurs ; bref, d’autres vies que la mienne semblent déterminer mon être, irrémédiablement. Au point que l’entrée dans la vie adulte consiste pour beaucoup à s’affranchir des injonctions reçues, avec un choix qui semble très binaire : soit je m’approprie pleinement les manières d’être au monde que j’ai reçues, je les fais « miennes », soit je les rejette pour en construire d’autres, qui seront les « miennes », absolument. Mais est-ce seulement possible ? Construit-on des manières d’être au monde inédites, ex nihilo? Ne viennent-elles pas toujours déjà d’autres hommes qui m’ont précédé ou coexistent avec moi ? La recherche de soi va de pair avec une quête de liberté : si je ne suis pas moi-même, alors je suis « possédé », « aliéné », « manipulé », « chosifié », « inconscient », « influencé », tant de termes qui évoquent l’absence de vraie liberté. Or, dès lors qu’on s’interroge sur ce qui fait son « moi », sur ce qui fait que « je suis moi », on tombe sur tellement de paramètres extérieurs qu’on se sent finalement déterminé, absolument déterminé et construit par autrui. Il devient alors nécessaire de s’interroger sur une éducation idéale, qui oriente, guide, aide, accompagne l’individu, autant qu’il le libère pour qu’il se trouve lui-même et s’épanouisse en « devenant lui-même ». Mais il tient aussi à cœur aux éducateurs (parents, professeurs, moralistes, artistes) de transmettre des idées, des valeurs, des manières de voir le monde, des manières d’être au monde, des manières de vivre en société. Cette volonté de transmission peut-elle rester respectueuse de la liberté de l’individu qu’on « instruit » ? Pour se garder de ce risque de perte de liberté, jusqu’à la perte de soi, il s’agit de s’émanciper, comme le mineur devient majeur en prenant son indépendance, notamment l’indépendance de son esprit, dans la quête de soi. Mais comment cela fonctionne-t-il ? Comment est-il possible de s’assurer soi-même de sa propre émancipation ?
  2. Les expressions de la sensibilité : cette quête de soi est rendue infiniment complexe notamment par la multiplicité et le caractère contradictoire de nos émotions, sensations, sentiments, passions, affects, face à la raison qui, en même temps, cherche à comprendre le monde réel à travers des catégories logiques, langagières, rationnelles. La moindre expérience vécue nous y confronte : nous vivons sans cesse des conflits internes, qu’ils soient de peu ou de grande importance. Plus ils sont importants, plus on emploie des termes significatifs, métaphores empruntées aux domaines de la géologie ou de la géopolitique, et ainsi nous connaissons des « bouleversements », « séismes », « crises », « chocs », etc. Pour nous exprimer, nous disposons essentiellement du langage, compris dans sa rationalité. Il s’avère bien vite que, lorsqu’on souhaite exprimer ce qui relève de la sensibilité (sentiments, émotions, affects), les mots nous limitent, voire nous gênent. Existe-t-il des recours pour exprimer notre sensibilité ?
  3. Les métamorphoses du moi : Comme on l’a dit, le « moi » ne cesse de changer, il est en mutation perpétuelle, de la naissance à la mort. En fonction des périodes de l’existence, des contextes sociaux, des affects, on n’est jamais tout à fait le même. Nous tâcherons de comprendre comment et à quelles conditions cette diversité des formes reste possible et intelligible dans la « recherche de soi ».

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