PERSÉCUTER, v. act. PERSÉCUTEUR, s. m. & PERSÉCUTION, s. f. (Droit naturel, Politique & Morale.) la persécution est la tyrannie que le souverain exerce ou permet que l’on exerce en son nom contre ceux de ses sujets qui suivent des opinions différentes des siennes en matière de religion.
L’histoire ne nous fournit que trop d’exemples de souverains aveuglés par un zèle1 dangereux, ou guidés par une politique barbare, ou séduits par des conseils odieux, qui sont devenus les persécuteurs et les bourreaux de leurs sujets, lorsque ces derniers avaient adopté des systèmes religieux qui ne s’accordaient point avec les leurs. […]
Si la persécution est contraire à la douceur évangélique et aux lois de l’humanité, elle n’est pas moins opposée à la raison et à la saine politique. Il n’y a que les ennemis les plus cruels du bonheur d’un État qui aient pu suggérer à des souverains que ceux de leurs sujets qui ne pensaient point comme eux étaient devenus des victimes dévouées à la mort et indignes de partager les avantages de la société. L’inutilité des violences suffit pour désabuser2 de ces maximes odieuses. Lorsque les hommes, soit par les préjugés de l’éducation, soit par l’étude et la réflexion, ont embrassé des opinions auxquelles ils croient leur bonheur éternel attaché, les tourments les plus affreux ne font que les rendre plus opiniâtres3 ; l’âme invincible au milieu des supplices s’applaudit de jouir de la liberté qu’on veut lui ravir ; elle brave les vains efforts du tyran et de ses bourreaux. Les peuples sont toujours frappés d’une constance qui leur paraît merveilleuse et surnaturelle ; ils sont tentés de regarder comme des martyrs de la vérité les infortunés pour qui la pitié les intéresse4 ; la religion du persécuteur leur devient odieuse ; la persécution fait des hypocrites et jamais des prosélytes5. Philippe II6 ce tyran dont la politique sombre crut devoir sacrifier à son zèle inflexible cinquante-trois mille de ses sujets pour avoir quitté la religion de leurs pères, et embrassé les nouveautés de la réforme, épuisa les forces de la plus puissante monarchie de l’Europe. Le seul fruit qu’il recueillit fut de perdre pour jamais les provinces du Pays-bas excédées de ses rigueurs. La fatale journée de la Saint Barthélemy7, où l’on joignit la perfidie à la barbarie la plus cruelle, a-t-elle éteint l’hérésie qu’on voulait opprimer ? Par cet événement affreux la France fut privée d’une foule de citoyens utiles ; l’hérésie aigrie par la cruauté et par la trahison reprit des nouvelles forces, et les fondements de la monarchie furent ébranlés par des convulsions longues et funestes.
1Zèle : ferveur, empressement, dévouement, enthousiasme.
2Désabuser : détromper, sortir de l’erreur.
3Opiniâtre : entêté, obstiné, têtu.
4Pour qui la pitié les intéresse : pour qui ils éprouvent de la pitié.
5Prosélyte : nouveau converti à une religion.
6Philippe II : roi d’Espagne de 1556 à 1598 qui mena aux Pays-Bas, alors en possession de l’Espagne, une guerre sanglante contre les provinces protestantes du Nord.
7Le 24 août 1572, trois mille protestants furent massacrés à Paris sur les ordres du roi Charles IX et de sa mère, Catherine de Médicis.