Qu’est-ce qu’un héros (dans les récits) ?
Quelques réponses littéraires, données au fil des siècles…
Antiquité : dans les textes de la mythologie antique, le héros est un demi-dieu ou un homme historique (qui aurait réellement existé) divinisé en raison de ses exploits. On trouve des héros dans les épopées (HOMERE, L’Odyssée), qui racontent leurs grands exploits et mettent en avant leurs qualités exceptionnelles, notamment leur ruse (Ulysse) ou leur courage démesurés.
Dans la littérature médiévale (romans de chevalerie), le héros est un chevalier, dont les qualités exceptionnelles sont également mises en valeur : courage, force, loyauté, persévérance, honnêteté, foi en Dieu. Ils ne sont pas divins mais appartiennent en général à la noblesse (cf. Romans de chevalerie de CHRETIEN DE TROYES).
Au XVIIème siècle (Classicisme et Préciosité), que ce soit dans le roman pastoral (Honoré D’URFÉ, L’Astrée), le roman psychologique et/ou historique (LA FAYETTE, La Princesse de Clèves), les auteurs mettent en scène des héros issus de la noblesse, qui se caractérisent essentiellement par leurs qualités morales et leur sensibilité. Ils ne sont donc plus nécessairement guerriers comme les chevaliers belliqueux de la littérature médiévale.
Au XVIIIème siècle (Lumières), les récits prennent des formes diverses : romans épistolaires, contes philosophiques, romans picaresques. Si les héros peuvent y faire preuve de naïveté quelquefois, il s’agit le plus souvent d’une naïveté qui amène à une prise de conscience constructive (Candide, chez VOLTAIRE, par exemple) ou d’une fausse naïveté (émerveillement plein d’ironie de la part des personnages des Lettres persanes, de MONTESQUIEU). Les héros sont souvent insolents et intelligents, fins, légèrement provocateurs, comme les auteurs qui les ont créés. Ils ne sont pas nécessairement issus de la noblesse (premier pas vers le réalisme).
Au XIXème siècle, les héros se « démocratisent » (tout comme, parallèlement, les régimes politiques sont censés se démocratiser) et ressemblent de plus en plus aux humains ordinaires. Le Romantisme met en scène des personnages mélancoliques, hyperémotifs. Le héros romantique est atteint du « mal du siècle » et peut ressentir de la révolte à l’égard des injustices de la société. Il est souvent jeune et fougueux, plein d’émotions et de sentiments, tourmenté, exagérant dans un registre lyrique ses passions et ses désillusions (ex: romans autobiographiques de CHATEAUBRIAND, René, ou Les Mémoires d’outre-tombe; + influence du roman Les souffrances du jeune Werther, de l’Allemand GOETHE, de 1774). Aussi les personnages de Gustave FLAUBERT, Madame Bovary et Frédéric Moreau (héros respectivement de Madame Bovary et de L’Education sentimentale), sont des stéréotypes de personnages romantiques, comme on en trouvera aussi chez BALZAC, bien que ces auteurs soient réalistes.
Le Réalisme rompt avec les traditions précédentes en revendiquant la peinture de « monsieur et madame tout-le-monde ». Les héros romanesques appartiennent à toutes les classes sociales et non plus seulement à l’élite ; ils vivent une existence ordinaire, et ne se distinguent que parce qu’ils représentent des « types », comme on en étudie en sociologie et en histoire. Le Naturalisme accentue encore cet objectif. Ainsi Zola ira jusqu’à dire : « Le premier homme qui passe est un héros suffisant ». (Jeanne, l’héroïne du roman de MAUPASSANT, Une vie + Eugène de Rastignac, le héros du roman d’apprentissage de BALZAC, Le Père Goriot + Etienne Lantier, le héros de Germinal, de ZOLA – Tous sont, quand on y pense, assez banals ! Ils peuvent être attachants, bien sûr, mais pour leurs qualités et leurs failles, leur fragilité, et non plus uniquement pour des qualités exceptionnelles).
On garde le mot « héros », bien que son sens évolue considérablement. En effet, le héros n’est plus nécessairement un grand homme, qui a de grandes qualités, et qui produit de grandes actions. Le héros n’est plus que : le personnage principal. En tant que lecteur, on s’identifie à lui, non plus nécessairement parce qu’on l’admire et qu’il nous est donné comme un exemple de vertu, mais parce qu’il nous ressemble d’ores et déjà.
Au XXème siècle, les auteurs continuent sur cette lancée, et vont jusqu’à inventer des « anti-héros », c’est-à-dire des héros amoraux (qui ne s’intéressent pas aux notions du bien et du mal. Cf. L’Etranger de CAMUS), voire immoraux (mauvais, contre la « bonne » morale. Cf. Journal d’un voleur, de GENET / Voyage au bout de la nuit, de CÉLINE). D’autres auteurs encore déconstruisent carrément la notion même de personnage. Ainsi, Marguerite DURAS ou Alain ROBBE-GRILLET, écrivains du Nouveau Roman, ne donnent aucun élément de psychologie de leurs personnages, et parfois même omettent volontairement de leur donner des noms ! (Le ravissement de Lol V.Stein, DURAS / La Jalousie, ROBBE-GRILLET). C’est donc au lecteur, si toutefois il le souhaite, de (re)construire le personnage à partir des éléments dont il dispose. On retrouve un peu cette démarche avec l’écriture comportementaliste des américains, auteurs de romans policiers : Dashiell HAMMETT et Raymond CHANDLER, qui ont influencé plus tard des français comme Jean-Patrick MANCHETTE ou Jean ECHENOZ. Dans ces romans, les auteurs donnent très peu d’éléments de psychologie, voire pas du tout. Ils décrivent les comportements de personnages, les effets physiologiques de leurs émotions, plutôt que les émotions elles-mêmes. Par exemple, le narrateur dira: « Une perle de sueur coula sur son front et, bien qu’il esquissât un sourire, qui se crispait, il fronça ses épais sourcils », plutôt que « L’angoisse commença à monter en lui, à la vue de ce danger. Il ressentit une peur entremêlée d’excitation. » Seuls les éléments extérieurs, perceptibles, sont donnés. C’est au lecteur, et uniquement s’il le souhaite, de donner une explication psychologique à ces expressions, et ainsi, de construire une identité personnelle, une personnalité, au personnage. L’écriture comportementaliste est souvent qualifiée de « cinématographique », car elle utilise bien souvent le point de vue narratif externe, en ne décrivant que ce qui est perceptible, le plus souvent audio et visuel.
Remarque : Le héros (premier sens) ayant plus ou moins disparu de la planète Littérature entre le XVIIIème et le XXème siècles, pour laisser la place aux héros ordinaires et aux anti-héros, d’autres créateurs au cours du XXème siècle se sont chargés outre Atlantique de réhabiliter la figure du grand personnage à la force et au courage exceptionnels avec les « super-héros », dotés de « super-pouvoirs », que l’on trouve dans la bande-dessinée, le cinéma ou les jeux-vidéos (Superman, Batman). Il s’agit le plus souvent de justiciers qui sauvent l’humanité de grandes catastrophes (ce qui peut s’expliquer par l’internationalisation des conflits et les catastrophes écologiques. Dans les deux cas, les répercussions sont planétaires).
A retenir : la notion de héros évolue au cours de l’histoire et il est important de tenir compte du contexte dans lequel elle s’inscrit. Un « héros », même quand il est considéré comme un « demi-dieu », reste un être humain. Les héros, au fil des siècles, traduisent donc une vision des hommes et du monde. Il est fondamental de relier les êtres humains fictifs, tels qu’on les voit dans les récits (= personnages), aux êtres humains réels (= personnes), qui ont vécu au cours de l’histoire de l’humanité. Les uns sont le miroir des autres. Les héros inventés par les romanciers nous disent quelque chose des idées de ces auteurs et de leurs contemporains.