Victor Hugo, « Ultima verba », Les Châtiments (1853)
[…]
Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,
Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau,
Je vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !
Mes nobles compagnons, je garde votre culte
Bannis, la république est là qui nous unit.
J’attacherai la gloire à tout ce qu’on insulte
Je jetterai l’opprobre à tout ce qu’on bénit !
Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.
[…]
Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j’oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente.
Je resterai proscrit, voulant rester debout.
[…]
Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !
2 décembre 1852. Jersey.
Victor Hugo sur son lit de mort, photographié par Nadar en 1885.