Séquence n°5 – parcours « La comédie du valet » au XVIIIème siècle.
Lecture intégrale de la comédie Le mariage de Figaro, de Beaumarchais.
Introduction au parcours : on est familiarisé avec les comédies de valet, notamment grâce à Molière, qui en a écrit quelques-unes. Par exemple : Les fourberies de Scapin, L’Avare, Dom Juan, George Dandin, etc. Les caractéristiques de ces pièces sont : celles qui tiennent du genre théâtral (mélange de dialogues et de didascalies : le texte dramatique vise une représentation), celles qui tiennent du genre de la comédie (qui vise à faire rire ou sourire le spectateur grâce à cinq types de comiques : de geste, de situation, de mots, de caractère, de mœurs), mais aussi la dimension satirique, puisque ces pièces mettent en scène des maîtres et des serviteurs. → tension sociale entre ces deux milieux, souvent tournés en dérision, à l’avantage du valet le plus souvent, et non du maître.
Séance n°1 : Lecture de la scène d’exposition (jusqu’à « …que les gens d’esprit sont bêtes ! »).
+ Visionnage de la mise en scène de la compagnie Colette Roumanoff.
Comme la plupart des scènes d’exposition traditionnelles, ce passage apporte des informations essentielles au spectateur.
→ Où ? Dans une chambre destinée à Suzanne et Figaro (l.8-11). + précision dans les didascalies initiales : « La scène est au château d’Aguas-Frescas, à trois lieues de Séville ».
→ Quand ? Le jour du mariage des deux personnages (relever les indices).
→ Qui ? Suzanne et Figaro sont sur scène. Ce sont des serviteurs : Suzanne sert la maîtresse, et Figaro sert le maître (l.22-26). On entend donc aussi parler des deux maîtres (« comte Almaviva », l.34 ; « madame », l.24+79), même s’ils ne sont pas présents. + Basile, le maître de chant (l.37)
Cinq personnages sont présentés, bien qu’il n’y en ait que deux sur scène.
→ Quelle image se fait-on des personnages ?
Figaro : un valet très amoureux de sa fiancée, d’abord très dévoué à son maître, mais finalement en colère contre lui (il se sent trahi). Il reste cependant globalement gai et enjoué. Il est susceptible d’être audacieux, aventurier et rusé.
Suzanne : une servante très amoureuse de son fiancé ; elle aussi semble maligne. Elle semble fidèle à Figaro et n’a pas du tout envie de céder aux avances du comte. Elle est aussi gaie et enjouée, du début à la fin de la scène.
le comte : il a d’abord l’air généreux (l.9 et 11 : « donne » + « cède »), mais lignes 27-29 et lignes 33-39, les deux répliques de Suzanne révèlent que le comte est un séducteur qui a des vues sur Suzanne. Pire, il envisage de restituer le « droit de cuissage » qu’il avait aboli sur ses terres.
la comtesse : pour le moment, on ne sait qu’une chose, c’est que Suzanne travaille pour elle avec dévouement, et que leur relation semble amicale.
Basile : maître à chanter de la comtesse et, visiblement en même temps, de Suzanne. Il semble proche du château. Figaro lui en veut de cette complicité, lorsque Suzanne lui avoue que c’est Basile qui lui a expliqué le choix de l’emplacement de la chambre par le comte…
→ Quoi ? L’intrigue se met en place. Entrée in media res des deux personnages principaux en train de se préparer au mariage + évocation d’un amour sincère entre Figaro et Suzanne et d’un obstacle à leur mariage, qui va venir tout compliquer : réveil du droit de cuissage par le comte dans le but d’obtenir Suzanne le soir-même !
Lecture linéaire
Didascalie : « une chambre à demi-démeublée » parce qu’il est question d’un emménagement.
« un grand fauteuil de malade » : il aura son importance lors de scènes comiques (avec Chérubin).
« Figaro […] mesure le plancher » : le personnage est intéressé par l’aménagement de cette pièce.
« Suzanne […]la mariée » : elle va se marier très bientôt. le jour-même, càd cette fameuse « folle journée » (sous-titre de la pièce).
Figaro, Suzanne = deux personnages principaux.
Répliques :
S : on apprend le nom de Figaro. Tutoiement qui révèle l’intimité entre les deux personnages.
F : (didascalie : « lui prend les mains » geste affectueux qui révèle une tendresse entre les deux futurs époux) « ma charmante » nom affectueux + interjection exclamative « Oh ! » qui montre sa spontanéité, la légèreté du ton que l’on peut envisager pour le comédien. L’adjectif « virginal » indique qu’ils ne sont pas encore mariés. Enthousiasme de F. dans la phrase exclamative + expression de l’amour.
S : « mon fils » = petit nom affectueux.
F : confirmation que ce sont F et S qui vont emménager dans cette chambre + évocation d’un personnage absent : le comte, désigné par le nom « monseigneur », qui montre un respect de F à son égard. En outre, l’image qu’on a de lui est plutôt méliorative puisqu’il semble généreux (verbe « donne[r] »).
S : elle n’était pas au courant de cette idée…
F : explique.
S : elle refuse.
Échange dynamique de répliques courtes (qui évoque la stichomythie) : les personnages insistent chacun sur sa position, S pour refuser la chambre mais aussi l’explication de son refus, et F pour obtenir cette explication. Négation du verbe « vouloir » répété 3X. Tout cela crée du mystère… En même temps, le ton reste léger, voire comique. La réplique de F ligne 19 semble une caricature de sexisme : généralisation avec les pluriels « elles » et « nous », qui sort très spontanément, voire grossièrement de la bouche de F avec l’exclamation. + aveu de faiblesse (il abandonne !).
S :
Prouver que j’ai raison serait
accorder que je puis avoir tort.
parallélisme + antithèse refus de se justifier et d’en dire davantage. Elle cherche à clore la discussion.
+ question rhétorique qui sous-entend que si Figaro est de son côté et veut lui rendre service, il doit arrêter de l’interroger.
F : Même si Suzanne vient de faire preuve d’esprit mais aussi d’un certain chantage affectif, cela ne fonctionne pas Figaro insiste et continue d’argumenter. Il avance que la situation de cette chambre est pratique, et par la même occasion, le spectateur comprend qui travaille pour qui : S pour la comtesse, F pour le comte. La chambre se trouve entre les « deux appartements ». Parallélisme de construction (l.23-26) que Suzanne va reprendre :
S : « fort bien ! » interprétation à défendre.
Après le connecteur logique de l’opposition « mais », S reprend exactement la même construction du parallélisme de F (tonalité moqueuse) pour lui annoncer enfin la vraie raison de son refus d’emménager dans cette chambre. Sauf qu’elle laisse sa phrase inachevée, avec les points de suspension, qui sous-entendent ce que Figaro et les spectateurs peuvent comprendre en même temps : « et crac, en trois sauts, le voilà dans mon lit » ! + effet comique de la répétition des onomatopées : « zeste…crac ». Effet proche de la stichomythie, qui donne à la scène un dynamisme plaisant.
On commence à avoir une image différente du comte… celle d’un séducteur sans scrupules.
F : changement de ton, il semble plus froid (angoissé ? ou bien amusé encore, si on considère qu’il n’a toujours pas compris du tout le sous-entendu de S… à voir). + vouvoiement soudain et passager, dû à une distance ? une angoisse soudaine ?
S : l’adverbe « tranquillement » vise à rasséréner Figaro, annonçant des explications de ce qu’elle vient de dire…
F : …mais réaction vive et spontanée, interjection exclamative « Eh ! » + « bon Dieu » qui traduit une réelle peur, maintenant, de ce qu’il s’apprête à entendre (la précaution « tranquillement » de S est donc un échec !)
S : on apprend du comte que c’est un « coureur de jupons » (« courtiser » = séduire + « les beautés » pluriel), on apprend aussi son nom (« Almaviva »), et surtout, S explicite ce que F n’a pas voulu comprendre : le comte a des vues sur elle. + proposition incise « entends-tu ? » (= comprends-tu?) insiste sur la volonté de S d’être parfaitement claire.
On découvre un autre personnage absent : Basile. Professeur de chant/ musique de la comtesse et a priori de Suzanne. Trois adjectifs mélioratifs le qualifient (« honnête », « noble », « loyal ») on peut faire l’hypothèse que S s’amuse à surestimer Basile pour agacer F…
F : et cela fonctionne très bien, puisque F s’exclame avec une sorte de haine soudaine pour Basile, car il se sent trahi, car S a évoqué une répétition quotidienne de cette affreuse nouvelle (« me répète chaque jour ») qui suggère que F est dupé par son entourage depuis au moins qq jours. Il songe à le frapper !
S : on comprend une fois de plus que la générosité du comte est intéressée : la « dot » qu’il propose à F et S est censée acheter Suzanne en quelque sorte. Celle-ci emploie une question rhétorique qui, malgré la clarté de sa réponse sous-entendue (càd « non »), va entraîner une tout autre réponse de F :
F : Il pense « mérite[r] » la reconnaissance du comte après tout ce qu’il a fait pour lui (cf. Le Barbier de Séville).
S : devinant la naïveté de F, S s’exclame avec finesse « que les gens d’esprit sont bêtes ! » antithèse qui soulève le paradoxe suivant : quelqu’un peut être très intelligent dans bien des domaines mais ne pas vouloir voir ce qui se passe sous ses yeux. Manque de lucidité dès lors que l’affaire le concerne de près ! Généralisation (pluriel + présent de vérité générale) qui fait penser à un proverbe et qui peut faire sourire le spectateur.
Pour la conclusion : On a une scène d’exposition très efficace, avec :
1. une entrée in medias res, qui permet au spectateur d’être plongé dans l’intrigue dès la première minute ;
2. une présentation de cinq personnages, les deux principaux, fiancés éperdument amoureux l’un de l’autre, étant présents sur scène ; les personnages de valet et servante semblent intelligents et libres d’esprit.
3. une tonalité légère et un grand dynamisme, qui indiquent l’esprit insolent, facétieux, joueur, de Beaumarchais.
4. les prémices d’une comédie dont le noeud de l’intrigue tourne autour de l’amour, du mariage, et des relations entre maîtres et valets.