BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal, « Une charogne »
PLAN DÉTAILLÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT D’UN COMMENTAIRE DE TEXTE
- La description esthétisée d’un élément ignoble
I.1. La putréfaction : description écœurante.
Champ lexical de la décomposition («charogne infâme, suant les poisons, ventre plein d’exhalaisons, pourriture, rendre au centuple, carcasse, putride, puanteur, mouches, noirs bataillons, larves, épais liquide, vivants haillons, squelette, ordure, horrible infection, moisir parmi les ossements, vermine).
-
Ce champ lexical est concentré sur la première moitié du poème ; après, il disparaît pour réapparaître à la fin, lors de l’évocation de la femme aimée. Il contient en lui l’évocation d’insectes liés dans l’imaginaire collectif à la saleté, au pourrissement (larves, mouches, vermine). Les mots employés renvoient à un sujet que l’on ne s’attend pas à trouver dans un poème, or, ce champ lexical est énorme : ce thème de la putréfaction domine tout le texte (surtout la première moitié).
Thème dominant dès le v.3 à 38.
La « chienne », au vers 33, achève la description écœurante en mettant dans l’imaginaire du lecteur un combat entre un charognard et sa proie inerte et infecte.
I.2. Présence des arts et des techniques
v.25 : « musique », v.27 : « vanneur/van », v.30 : « ébauche », v.31 : « toile/artiste »
Baudelaire évoque la musique, la peinture, et le savoir-faire du paysan qui trie le grain qu’il a ramassé. En outre, des vers 21 à 28, les verbes de mouvement, qui animent la description d’un « mouvement rythmique », accompagnés de la musique, font penser à cet autre art qu’est la danse.
Cela donne non seulement à la nature un rôle artistique, comme si elle créait de la beauté (à partir de cette charogne en putréfaction) à la manière des artistes qui créent de la beauté à partir de leurs matériels, mais aussi cela donne au poète un rôle similaire à celui de la nature : créer du beau, en ne retenant que le beau dans toute scène de la vie, y compris les plus ignobles.
I.3.La nature : description paradoxale, entre beauté romantique et réalisme cru.
v.2 : décor romantique pour une promenade entre deux amoureux. Adjectifs mélioratifs (« beau », « doux »), évocation de la saison la plus claire, qui met en valeur la nature dans tout son foisonnement : « le soleil rayonnait » + « été ». Tous les éléments naturels installent un registre lyrique. L’objet décrit (la charogne) est éclairé comme par un spot de théâtre, ce qui contribue à rendre la scène spectaculaire.
Dès le vers 3, la « charogne infâme » vient trancher dans ce décor idyllique. Et les deux idées (beauté romantique et réalisme cru) ne vont plus cesser de s’entremêler dans le texte, éveillant une ambiguïté à déterminer.
Personnification du ciel au vers 13 : romantisme, mais tout de suite, un oxymore : « carcasse superbe », deux antithèses (« fleur/puanteur » et « s’épanouir/s’évanouir »), qui viennent souiller la pureté romantique du contexte.
Rimes : « charogne infâme »/ « mon âme » = objet de l’amour du poète ! Retrouvé là : « cette horrible infection/ma passion ».
« doux/cailloux » : contradiction
« pourriture/nature » : contradiction, qu’on retrouve plus tard : « nature/ordure »
« s’épanouir/s’évanouir » : contradiction (vie/mort)
« descendait/ montait »
« sacrements/ossements » : rapproche le spirituel (religieux) du corporel.
« vermine/divine » : être vivant le plus misérable/Dieu !
« baisers/décomposés » (le baiser réunit dans un acte d’amour → contradiction avec l’idée de décomposition.
L’évocation du combat de la chienne, charognard, avec la « carcasse », rend la charogne attirante, grâce à un vocabulaire culinaire : « cuire à point », déjà, vers 10, puis « épiant […] le morceau », comme on convoite un morceau de viande, alors qu’il ne s’agit plus que d’un « squelette » (vers 35-36).
Enfin, on peut relever toutes les images (les comparaisons notamment) qui valorisent la charogne.
-
Le thème de la femme : vers une déclaration d’amour
II.1. Double comparaison charogne-femme.
rime « mon âme »/ « charogne infâme »
« lit », v.4 = lieu d’amour ?
Comparaison de la charogne avec une femme → personnification, qui évoque la sensualité, et même la luxure. (v.5 à 8) (voc. de l’humain). La charogne ressemble à un être immoral. Baudelaire, en faisant ressortir de la beauté d’une scène ignoble, non seulement dépasse la dichotomie beau/laid, mais aussi s’élève au-delà du bien et du mal.
La femme aimée, à son tour, est comparée à la charogne. V.37 à 48.
II.2. Romantisme et expression de l’amour.
Promenade entre deux amants ds la nature (1er quatrain) = cliché romantique
Vocabulaire de l’amoureux : « mon âme » (v.1), « ô la reine des grâces » (v.41), « ô ma beauté » (v.45) (apostrophe lyrique, voc. mélioratif), « étoile de mes yeux, soleil de ma nature » (v.39), « mon ange et ma passion »
+ « mes amours » Registre lyrique. Sentiment amoureux accentué par les points d’exclamation et les apostrophes lyriques « ô ».
II.3.Une promesse du poète pour un avenir d’amoureux.
v.37 à 48 : futur de l’indicatif + impératif + passé composé.
→ futur = mort. Impératif = promesse d’immortalité. Passé composé = acte du poète, au-delà du temps, au-delà de la vie et de la mort.
Le poète déclare à sa bien-aimée qu’il l’aimera par-delà la mort, qu’il retiendra la vie, l’amour, la beauté de leurs amours vécus.
-
Réflexion sur la mort : dimension universelle.
III.1. Un tableau plein de vie : paradoxe.
La personnif.v.5 à 8 donne vie au cadavre.
« ventre », v.8 → de ce ventre sortent des êtres vivants, qui croissent et se multiplient (« larves », « vermine », « rendre au centuple », « mouches », « vivants haillons ») → évoque la maternité.
Verbes de mouvement (v.5 à 32) : ouvrait, s’épanouir, bourdonnaient, sortaient, coulaient, descendait, montait, s’élançait, pétillant, vivait, se multipliant, agite, tourne. → tableau vivant.
Les cinq sens sont représentés :
– toucher : « doux », « brûlante et suant », « épais », « souffle », « vent », « baisers »
– vue : « vîmes », « regardait », « noirs », « s’effaçaient », « ébauche », « regardait », « œil », « épiant », « forme »
– ouïe : « bourdonnaient », « pétillant », « musique », « vent », « rythmique »
– goût : « cuire à point », « morceau » (évoque la viande), « mangera »
– odorat : « exhalaisons », « puanteur », « fleur ».
+ « la grande Nature » v.11, « vivants » v.20, « ce monde » v.25, « vivait », v.24 + désir (« lubrique » v.5 « épiant » v.35)
→ évoquent la vie (principes de vie).
III.2. Mort de la femme / mort du lecteur : une réflexion sur la condition humaine.
« lit », v.4 =lit mortuaire ?
Personnification du ciel : il « regard[e] », comme un témoin universel, la mort prendre vie.
Voc. de la mort : « charogne », « pourriture », « carcasse », « putride », « noirs », « corps », squelette », « derniers sacrements », « sous l’herbe », « moisir pari les ossements » (= destinée de tout être vivant, et donc des hommes).
Vers 37 : « vous serez semblable à cette ordure » : « vous » = la femme aimée / le lecteur. Fatalité. Tragique. Dimension universelle.
III.3. Le poète retient la vie et la beauté.
« Rappelez-vous » (v.1) → Impératif du poète : il faut se souvenir de cette expérience pour en garder le message et la beauté.
v.47 : Première personne du singulier : le poète « gard[e] l’essence divine » des choses. Voilà le rôle de la poésie dans toute sa modernité, renouvelée, voire réinventée par Baudelaire : du monde, l’artiste retient l’« essence divine », c’est-à-dire sa beauté. Il sublime le réel grâce au regard particulier qu’il sait porter sur la singularité des choses. Une charogne devient l’antre d’un monde vivant, musical, beau. Et il est en même temps le prétexte à une réflexion sur la mort, celle de la bien-aimée, celle de tous au final. Car la voix du poète parle au-delà des dichotomies beau-laid, bien-mal, vie-mort.
Baudelaire – « Une charogne »
BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal, « Une charogne »
PLAN DÉTAILLÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT D’UN COMMENTAIRE DE TEXTE
I.1. La putréfaction : description écœurante.
Champ lexical de la décomposition («charogne infâme, suant les poisons, ventre plein d’exhalaisons, pourriture, rendre au centuple, carcasse, putride, puanteur, mouches, noirs bataillons, larves, épais liquide, vivants haillons, squelette, ordure, horrible infection, moisir parmi les ossements, vermine).
Ce champ lexical est concentré sur la première moitié du poème ; après, il disparaît pour réapparaître à la fin, lors de l’évocation de la femme aimée. Il contient en lui l’évocation d’insectes liés dans l’imaginaire collectif à la saleté, au pourrissement (larves, mouches, vermine). Les mots employés renvoient à un sujet que l’on ne s’attend pas à trouver dans un poème, or, ce champ lexical est énorme : ce thème de la putréfaction domine tout le texte (surtout la première moitié).
Thème dominant dès le v.3 à 38.
La « chienne », au vers 33, achève la description écœurante en mettant dans l’imaginaire du lecteur un combat entre un charognard et sa proie inerte et infecte.
I.2. Présence des arts et des techniques
v.25 : « musique », v.27 : « vanneur/van », v.30 : « ébauche », v.31 : « toile/artiste »
Baudelaire évoque la musique, la peinture, et le savoir-faire du paysan qui trie le grain qu’il a ramassé. En outre, des vers 21 à 28, les verbes de mouvement, qui animent la description d’un « mouvement rythmique », accompagnés de la musique, font penser à cet autre art qu’est la danse.
Cela donne non seulement à la nature un rôle artistique, comme si elle créait de la beauté (à partir de cette charogne en putréfaction) à la manière des artistes qui créent de la beauté à partir de leurs matériels, mais aussi cela donne au poète un rôle similaire à celui de la nature : créer du beau, en ne retenant que le beau dans toute scène de la vie, y compris les plus ignobles.
I.3.La nature : description paradoxale, entre beauté romantique et réalisme cru.
v.2 : décor romantique pour une promenade entre deux amoureux. Adjectifs mélioratifs (« beau », « doux »), évocation de la saison la plus claire, qui met en valeur la nature dans tout son foisonnement : « le soleil rayonnait » + « été ». Tous les éléments naturels installent un registre lyrique. L’objet décrit (la charogne) est éclairé comme par un spot de théâtre, ce qui contribue à rendre la scène spectaculaire.
Dès le vers 3, la « charogne infâme » vient trancher dans ce décor idyllique. Et les deux idées (beauté romantique et réalisme cru) ne vont plus cesser de s’entremêler dans le texte, éveillant une ambiguïté à déterminer.
Personnification du ciel au vers 13 : romantisme, mais tout de suite, un oxymore : « carcasse superbe », deux antithèses (« fleur/puanteur » et « s’épanouir/s’évanouir »), qui viennent souiller la pureté romantique du contexte.
Rimes : « charogne infâme »/ « mon âme » = objet de l’amour du poète ! Retrouvé là : « cette horrible infection/ma passion ».
« doux/cailloux » : contradiction
« pourriture/nature » : contradiction, qu’on retrouve plus tard : « nature/ordure »
« s’épanouir/s’évanouir » : contradiction (vie/mort)
« descendait/ montait »
« sacrements/ossements » : rapproche le spirituel (religieux) du corporel.
« vermine/divine » : être vivant le plus misérable/Dieu !
« baisers/décomposés » (le baiser réunit dans un acte d’amour → contradiction avec l’idée de décomposition.
L’évocation du combat de la chienne, charognard, avec la « carcasse », rend la charogne attirante, grâce à un vocabulaire culinaire : « cuire à point », déjà, vers 10, puis « épiant […] le morceau », comme on convoite un morceau de viande, alors qu’il ne s’agit plus que d’un « squelette » (vers 35-36).
Enfin, on peut relever toutes les images (les comparaisons notamment) qui valorisent la charogne.
Le thème de la femme : vers une déclaration d’amour
II.1. Double comparaison charogne-femme.
rime « mon âme »/ « charogne infâme »
« lit », v.4 = lieu d’amour ?
Comparaison de la charogne avec une femme → personnification, qui évoque la sensualité, et même la luxure. (v.5 à 8) (voc. de l’humain). La charogne ressemble à un être immoral. Baudelaire, en faisant ressortir de la beauté d’une scène ignoble, non seulement dépasse la dichotomie beau/laid, mais aussi s’élève au-delà du bien et du mal.
La femme aimée, à son tour, est comparée à la charogne. V.37 à 48.
II.2. Romantisme et expression de l’amour.
Promenade entre deux amants ds la nature (1er quatrain) = cliché romantique
Vocabulaire de l’amoureux : « mon âme » (v.1), « ô la reine des grâces » (v.41), « ô ma beauté » (v.45) (apostrophe lyrique, voc. mélioratif), « étoile de mes yeux, soleil de ma nature » (v.39), « mon ange et ma passion »
+ « mes amours » Registre lyrique. Sentiment amoureux accentué par les points d’exclamation et les apostrophes lyriques « ô ».
II.3.Une promesse du poète pour un avenir d’amoureux.
v.37 à 48 : futur de l’indicatif + impératif + passé composé.
→ futur = mort. Impératif = promesse d’immortalité. Passé composé = acte du poète, au-delà du temps, au-delà de la vie et de la mort.
Le poète déclare à sa bien-aimée qu’il l’aimera par-delà la mort, qu’il retiendra la vie, l’amour, la beauté de leurs amours vécus.
Réflexion sur la mort : dimension universelle.
III.1. Un tableau plein de vie : paradoxe.
La personnif.v.5 à 8 donne vie au cadavre.
« ventre », v.8 → de ce ventre sortent des êtres vivants, qui croissent et se multiplient (« larves », « vermine », « rendre au centuple », « mouches », « vivants haillons ») → évoque la maternité.
Verbes de mouvement (v.5 à 32) : ouvrait, s’épanouir, bourdonnaient, sortaient, coulaient, descendait, montait, s’élançait, pétillant, vivait, se multipliant, agite, tourne. → tableau vivant.
Les cinq sens sont représentés :
– toucher : « doux », « brûlante et suant », « épais », « souffle », « vent », « baisers »
– vue : « vîmes », « regardait », « noirs », « s’effaçaient », « ébauche », « regardait », « œil », « épiant », « forme »
– ouïe : « bourdonnaient », « pétillant », « musique », « vent », « rythmique »
– goût : « cuire à point », « morceau » (évoque la viande), « mangera »
– odorat : « exhalaisons », « puanteur », « fleur ».
+ « la grande Nature » v.11, « vivants » v.20, « ce monde » v.25, « vivait », v.24 + désir (« lubrique » v.5 « épiant » v.35)
→ évoquent la vie (principes de vie).
III.2. Mort de la femme / mort du lecteur : une réflexion sur la condition humaine.
« lit », v.4 =lit mortuaire ?
Personnification du ciel : il « regard[e] », comme un témoin universel, la mort prendre vie.
Voc. de la mort : « charogne », « pourriture », « carcasse », « putride », « noirs », « corps », squelette », « derniers sacrements », « sous l’herbe », « moisir pari les ossements » (= destinée de tout être vivant, et donc des hommes).
Vers 37 : « vous serez semblable à cette ordure » : « vous » = la femme aimée / le lecteur. Fatalité. Tragique. Dimension universelle.
III.3. Le poète retient la vie et la beauté.
« Rappelez-vous » (v.1) → Impératif du poète : il faut se souvenir de cette expérience pour en garder le message et la beauté.
v.47 : Première personne du singulier : le poète « gard[e] l’essence divine » des choses. Voilà le rôle de la poésie dans toute sa modernité, renouvelée, voire réinventée par Baudelaire : du monde, l’artiste retient l’« essence divine », c’est-à-dire sa beauté. Il sublime le réel grâce au regard particulier qu’il sait porter sur la singularité des choses. Une charogne devient l’antre d’un monde vivant, musical, beau. Et il est en même temps le prétexte à une réflexion sur la mort, celle de la bien-aimée, celle de tous au final. Car la voix du poète parle au-delà des dichotomies beau-laid, bien-mal, vie-mort.