Passion et raison au XVIIème siècle.
« PASSION – n.f. (du latin passio, « action de supporter ; souffrance physique ou morale »).
1° Sens ancien : souffrance. C’est dans ce sens que l’on parle de la Passion du Christ rapportée par les Évangiles : il s’agit de la souffrance assumée par le Christ pour sauver les hommes, dans les religions chrétiennes. Plus généralement, les passions représentent ce que l’âme subit (malgré elle), ce qui est considéré comme négatif parce que passif.
2° A partir du XVIème siècle (souvent au pluriel) : ensemble d’états affectifs puissants qui bouleversent ou dominent la vie intérieure de l’individu. Les passions vont englober les désirs, les émotions, les sentiments. Le sens du mot est encore passif : on subit malgré soi les impulsions soudaines qui ébranlent l’âme (la passion amoureuse, dans le théâtre de Jean Racine, a quelque chose de fatal). Mais l’accent se déplace : la passion fait agir, même si c’est dans la violence et le désordre ; elle meut les hommes. Les moralistes ne cessent d’opposer la passion et la raison : la première est injuste, aveugle ; l’autre sereine.
3° L’amour-passion : la passion manifeste surtout ces contradictions lorsque l’amour s’empare de toute la vie psychique d’un être (passivité/activité ; force aveugle/raison impuissante ; caractère obsessionnel que le sujet ne peut maîtriser). Dans ce sens, le mot passion peut désigner l’objet aimé lui-même : elle a été la grande passion de sa vie.
4° A partir du XIXème siècle : puissance intérieure qui anime, qui fait réaliser de grandes œuvres (artistiques, politiques, sociales). Le fait d’être passionné par quelque chose prend un sens positif. L’oeuvre d’art est chargée de traduire l’émotion, la passion, la sensibilité de l’être humain. Le métier qu’on exerce n’est vraiment bien accompli que si on a la passion de ce qu’on fait.
5° De nos jours, selon les contextes, le mot passion conserve les sens 2, 3 et 4. »
Bruno Hongre, 2004, Le dictionnaire portatif du bachelier
« (…) Il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu’elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les affections mêmes leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. (…) Ainsi, ressentant de la douleur en leur corps, elles s’exercent à la supporter patiemment, et cette épreuve qu’elles font de leur force, leur est agréable, ainsi voyant leurs amis en quelque grande affliction, elles compatissent à leur mal, et font tout leur possible pour les en délivrer, et ne craignent pas même de s’exposer à la mort pour ce sujet, s’il en est besoin. Mais, cependant, le témoignage que leur donne leur conscience, de ce qu’elles s’acquittent en cela de leur devoir, et font une action louable et vertueuse, les rend plus heureuses, que toute la tristesse, que leur donne la compassion, ne les afflige. Et enfin, comme les plus grandes prospérités de la fortune ne les enivrent jamais, et ne les rendent point plus insolentes, aussi les plus grandes adversités ne les peuvent abattre ni rendre si tristes, que le corps, auquel elles sont jointes, en devienne malade. »
René Descartes, Lettre à Elisabeth, 18 mai 1645
« Les passions sont toutes bonnes de leur nature et nous n’avons rien à éviter que leur mauvais usage ou leurs excès. »
René Descartes, Les passions de l’âme, 1649
« Des puissances trompeuses. — L’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur, naturelle et ineffaçable sans la grâce. Rien ne lui montre la vérité : tout l’abuse. Ces deux principes de vérités, la raison et les sens, outre qu’ils manquent chacun de sincérité, s’abusent réciproquement l’un l’autre. Les sens abusent la raison par de fausses apparences ; et cette même piperie qu’ils apportent à la raison, ils la reçoivent d’elle à leur tour : elle s’en revanche. Les passions de l’âme troublent les sens, et leur font des impressions fausses. Ils mentent et se trompent à l’envi. »
Pensées (article III, §27), œuvre posthume de Blaise Pascal (1623-1662)