1ère – ORAL – Baudelaire, « Une charogne » – LECTURE LINÉAIRE

INTRODUCTION :

Présentation générale (auteur, œuvre) :

Charles Baudelaire est un poète parisien du XIXème siècle (né en 1821) que l’on considère comme l’« inventeur » de la modernité. En effet, encore influencé par le Romantisme, il a cependant apporté un souffle nouveau sur les arts, tant dans ses thèmes que dans les formes qu’il exploite. Il influencera à son tour toutes les générations de poètes qui lui succéderont, des symbolistes aux parnassiens de la seconde moitié du XIXème siècle, et jusqu’à aujourd’hui. Mais quand il publie pour la première fois son recueil Les Fleurs du Mal, en 1857, dans la France bourgeoise du Second Empire, il fait scandale malgré lui, et subit un procès qui aboutira à la censure partielle de son œuvre, ce qui le rendra malheureux, car il se sentira incompris, poète maudit.

Présentation de l’extrait (situation du passage dans l’œuvre et problématique) :

Le poème XXIX de la section « Spleen et Idéal », première du recueil, qui s’intitule « Une charogne », est emblématique du geste baudelairien de l’alchimiste, que la puissance rend capable de transformer la boue (une charogne, élément ignoble) en or (esthétique amoureuse par-delà bien et mal, beau et laid, Spleen et Idéal, vie et mort). Nous verrons en quoi ce poème se démarque de la tradition poétique, en mettant en acte ce geste d’alchimiste poétique. Dans le même temps, nous verrons comment Baudelaire donne sa version du carpe diem.

Remarques générales sur la forme du poème : douze quatrains, dans lesquels les alexandrins et les octosyllabes s’alternent et les rimes sont croisées.

LECTURE ORALE

Annonce des mouvements du texte découpé (ici, on a six mouvements, mais vous pouvez très bien le découper autrement, du moment que vous justifiez avec pertinence votre choix).

DÉVELOPPEMENT :

Strophes 1 et 2 : souvenir de l’apparition de la charogne.

  • Convocation par le poète d’un souvenir a priori vécu avec sa bien-aimée (« mon âme »). L’apostrophe « mon âme » peut aussi révéler qu’il s’adresse à lui-même. → trois destinataires possibles : une femme, lui-même, et le lecteur quoi qu’il en soit.

  • Impératif (« rappelez-vous ») : devoir de se souvenir, devoir de rester dans une mémoire éternelle, le poème fixe pour l’éternité la beauté de la scène qui est décrite.

  • Narratif sur les 2 premiers vers puis dominante descriptive après l’apparition fortuite (« au détour de ») de la « charogne ». Apparition = événement central du poème.

  • Au moment de cette apparition, autre changement, radical : on passe d’un registre lyrique (valorisation de la nature, cadre idyllique, bucolique « ce beau matin d’été si doux » + expression d’une nostalgie + sentiment amoureux « mon âme ») à un objet répugnant : la charogne, c’est-à-dire un cadavre de bête en putréfaction.

  • On note déjà dans ce passage des rapprochements étonnants entre des éléments « normalement » opposés : « mon âme », rime avec « charogne infâme », comme si déjà le poète rapprochait sa bien-aimée du cadavre animal. + sensation de douceur rapprochée des « cailloux » avec le nom « lit » et l’adjectif « doux » qui rime.

  • Le deuxième quatrain bascule violemment dans une personnification qui peut choquer le lecteur : la charogne est comparée à une « femme » pleine de désir sexuel, dans une posture lascive, voire carrément suggestive. Au-delà de la réaction dégoûtée que l’on peut ressentir, il faut voir la manière dont Baudelaire donne une peinture pleine de vie (expression du désir) d’une nature morte.

Strophes 3 à 6 : description d’un spectacle plein de vie.

  • Le soleil est comme un projecteur de théâtre qui met en valeur l’objet qui se trouve sur la scène, jusqu’à le rendre appétissant, avec la comparaison culinaire, vers 10, où la charogne fait penser à un morceau de viande (dont on retrouvera l’image au vers 36).

  • Le champ lexical de la décrépitude (ou de la putréfaction) s’entremêle tout au long de ces quatrains avec celui de la vie (ou de la nature).  Baudelaire fait ressortir et ressentir le cycle mort-vie, en montrant comme l’une est à l’origine de l’autre. On peut aller jusqu’à méditer sur l’idée que la mort fait partie de la vie et inversement.

  • Un monde vivant émerge du cadavre  verbes de mouvement, personnifications d’éléments naturels, pluriels (« mouches », « larves »), etc. jusqu’à l’idée d’une renaissance : « le corps, enflé d’un souffle vague,/ vivait »), comme si on avait insufflé la vie de nouveau dans le cadavre.

  • Nombreuses rimes sont à relever, notamment celles qui rapprochent des éléments opposés (ex : « s’épanouir »/ « évanouir » ; « pourriture »/ « Nature »).

Strophes 7 et 8 : convocation des arts.

  • Images qui renvoient à des techniques et des arts  activités humaines, productions artificielles (par opposition à « la grande Nature » des quatrains précédents).

  • « musique », danse, activité du vanneur (paysan qui trie les grains de blé « dans son van »), peinture.

  • Parallèle à faire entre les démarches du peintre du quatrain n°8 et du poète, qui consistent à représenter le « souvenir » de la vision d’une nature morte.

Strophe 9 : un objet de désir ?

  • Image d’un charognard (la « chienne ») qui aurait été dérangé par les deux amoureux en plein repas. Baudelaire lui attribue des émotions : la crainte et la colère.

  • Idée que la charogne pourrait être dérobée par les humains, comme si elle pouvait être un objet de rivalité entre la chienne et eux.

Strophes 10 et 11 : memento mori (= « souviens-toi que tu vas mourir »)

  • Des vers 3 à 36, on avait des imparfaits de description. Apparait ici le futur, conjugué à la formule de politesse (« vous »), et accompagné d’apostrophes amoureuses nombreuses.  expression de l’amour à l’égard de la destinataire du poème (lyrisme).

  • Les termes qui semblent péjoratifs vers 37-38 sonnent comme une malédiction, contradictoire avec l’idée de l’amour. Mais il ne s’agit que d’un paradoxe, dû au caractère spirituel de ce quatrain, qui rappelle, à la bien –aimée comme au lecteur de Baudelaire, que nous allons mourir.

Strophe 12 : la promesse du poète, alchimiste et amoureux.

  • Seule occurrence du pronom personnel « je »  le poète s’exprime personnellement.

  • Deux degrés de lecture :

  1. Dans la relation entre le poète et la destinataire du texte, c’est l’amour éternel qui s’exprime : Baudelaire aimera sa bien-aimée au-delà de sa mort ;

  2. Le rôle du poète est de faire atteindre l’éternité aux choses, par le langage poétique. Il « [a] gardé la forme et l’essence divine », c’est-à-dire la quintessence, la singularité, l’être-même non seulement de la femme qu’il aime, mais aussi d’un objet aussi insignifiant et/ou répugnant qu’une charogne découverte fortuitement « au détour d’un sentier ». Il sublime le réel grâce au regard particulier qu’il sait porter sur la singularité des choses. Une charogne devient l’antre d’un monde vivant, musical, beau. Et il est en même temps le prétexte à une réflexion sur la mort, celle de la bien-aimée, celle de tous au final. Car la voix du poète parle au-delà des dichotomies beau-laid, bien-mal, vie-mort.

CONCLUSION:

Pour vous aider à récapituler les idées importantes à retenir de cette lecture, vous pouvez vous inspirer du plan de commentaire que vous trouverez sur mon blog, par ici.

Idées pour l’ouverture : l’oral 12, « Vénus anadyomène », d’Arthur Rimbaud (1870), ou l’autoportrait de Lautréamont dans les Chants de Maldoror (1869, chant IV). Dans ces deux textes, on a des éléments ignobles qui sont sublimés par le langage poétique, comme la charogne de Baudelaire. Ces trois textes illustrent bien le parcours : « Alchimie poétique : la boue et l’or ».

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